Au fil de l’histoire – Nos gens
Les premiers guides dont l’histoire a retenu les noms sont les deux fils de l’Iroquoien Donnacona, chef du village de Stadaconé (aujourd’hui Québec). Les frères Domagaya et Taignoagny ont appris le français lors de leur voyage en France avec Jacques Cartier en 1534. En retour, ils lui serviront d’interprètes et de guides lors de sa seconde expédition en 1535 vers Hochelaga (Montréal).
Plus tard en 1608, alors que Champlain s’installe pour l’hiver à Québec, il laissera partir deux de ses hommes en forêt avec des Innus qui les amèneront vers leur territoire de chasse pour vivre selon leur mode traditionnel. Ils apprendront la langue et leurs us et coutumes. En 1610, Champlain confiera à Étienne Brûlé (1592-1632), coureur des bois légendaire et marchand français, un mandat semblable auprès des Hurons-Wendats, afin qu’il lui serve éventuellement de guide et d’interprète lors de ses voyages en Petite Nation et dans la région des Grands Lacs.
Illustration 77 – Champlain regarde vers l’Ouest, depuis la rive de la baie Georgienne, tandis qu’un de ses guides hurons lui indique la route à suivre. Illustration C.W. Jefferys, 1925, Bibliothèque et Archives Canada/Fonds des Archives nationales du Canada/C-000126.
Selon l’historien Denis Vaugeois, « sans la sollicitude, la compassion ou l’assistance des Indiens (sic), les Européens auraient mis beaucoup plus de temps pour s’installer en Amérique. […] Ils leur montraient les routes commerciales, fournissaient les moyens de transport, assistaient leurs alliés dans les échanges »[1]. Depuis toujours, les nouveaux arrivants ont pu compter sur les Premières Nations et leurs connaissances de la nature environnante, des ressources disponibles et des chemins qui mènent ailleurs.
Qui ne connaît pas chez nous le nom d’Amable Canard Blanc (1834-1931), un Nipissing d’Oka, guide de chasse et de pêche, qui fut vers 1874 interprète auprès des arpenteurs du Canadien Pacifique pour la construction du chemin de fer dans la région des Grands Lacs et, pour utiliser un concept moderne, consultant retenu par la compagnie Singer de Thurso pour déterminer le tracé des chemins forestiers.
Non seulement Amable sert de guide, mais il partage également son savoir traditionnel, y compris la guérison par la plante, avec ses voisins. Jean-Guy Paquin, le chantre des Weskarinis, évoque dans son ouvrage Le pays de Canard Blanc, une anecdote éloquente à cet égard, qui va à peu près comme ceci. Un jour d’hiver, les Canard Blanc du lac Simon s’inquiétaient de l’absence de fumée dans la cheminée de leurs amis, les Yelle, vivant au fond de la baie vis-à-vis de leur île. Ils se rendent aussitôt les voir et trouvent toute la famille alitée. Les Canard Blanc leur ont préparé une décoction de cèdre blanc — l’annedda, en langage iroquois— qui a guéri tout le monde, la même décoction qui avait guéri les marins hivernants de Jacques Cartier en 1535[2].
[1] Cité dans l’avant-propos de L’Indien généreux, auteurs Louise Côté, Louis Tardivel, Denis Vaugeois, Éditions du Boréal, 1992, 287 pages.
[2] Anecdote évoquée dans son ouvrage Le pays de Canard Blanc, p. 86. Jean-Guy Paquin Éditeur, 2e édition, 2011.
Illustration 78 – Avec son air avenant, Amable Canard Blanc portait bien son nom! Photo Collection Yves Leduc, tirée du livre de Jean-Guy Paquin, Le pays de Canard Blanc, p. 57.
Quand, dans les années 1930, le Seigniory Club, club privé du Canadien Pacifique, eut besoin de guides de chasse et pêche pour parcourir son territoire avec ses membres en quête de bonnes prises, il fit appel à des autochtones. Les plus connus s’appelaient Alex Espaniel (1871-1936) et Frank Maheux (1906-1961). Leurs photos se retrouvaient régulièrement dans les pages de The Seigneur, une revue distribuée périodiquement à ses membres, sans qu’on ne donne d’information détaillée sur eux.
Faisons un petit aparté pour raconter un peu l’histoire de ces deux guides autochtones qui ont travaillé pour le Seigniory Club à ses débuts, et que nous connaissons mieux grâce au site Ancestry. Alex Espaniel — dont l’appellation varie entre Espaniel, Espaniol, Spaniel, Spaniard et Sakwakijik — était un trappeur ojibwé, originaire de Spanish, dans la région de Sudbury, sur la route centenaire des commerçants de fourrure. Il s’est marié le 25 janvier 1908 avec Angélique aussi appelée Annie Nootick — et ses variantes Nooteditne, Nootchtai, Nodjite —, une Ojibwée née en 1881 à Naughton, non loin de Spanish. Le couple connut un destin tragique, trois de ses enfants adultes étant morts de tuberculose entre 1935 et 1937. Alex est décédé le même jour que son fils cadet, le 9 août 1936, d’une cholécystite doublée d’une jaunisse. Il était retourné chez lui entretemps.
Illustration 79 – Photo The Good Guides tirée de la revue The Seigneur, août 1932 p. 19. De g. à d., les guides Alex Espaniel et Frank Maheux sont de descendance algonquienne-anishnabée, Espaniel, un Ojibwé de Spanish, en Ontario et Maheux, un Algonquin de Baskatong, au nord de Maniwaki.
Quant à Frank Maheux, il est originaire de la mission du Baskatong et il fut baptisé à Maniwaki. Il portait également dans son clan le patronyme de sa mère anishnabée, Angélique Caponicin (1884-1979) et ses variantes Kap8nichin, Kaponicin, Kaponicen et Kaponishin. Son père, Frank senior (1883-1952), né à Québec, était un vétéran de la Première Guerre mondiale et il est inhumé à Maniwaki[1]. En 1931, les Maheux vivaient à Thurso, le père travaillait en comptabilité (probablement pour la compagnie Singer) et le fils était bûcheron. Frank junior se marie à Julia Lavoie, de Montebello, le 18 mai 1935 à Ottawa, où il réside dorénavant, et le lendemain il fait baptiser sa fille née quinze jours plus tôt. Il décédera en 1961 et sera inhumé à Ottawa.
[1] Sur le vétéran Frank Maheux senior : https://21stbattalion.ca/tributemn/maheux_f.html
Illustration 80 – Lors de la Deuxième Guerre mondiale, le soldat Frank Maheux junior a été stationné en Écosse dans le Corps forestier canadien, qui a existé entre 1940 et 1945. On inclut la photo de l’ex-guide dans la chronique Overseas News parue dans The Seigneur, édition Hiver 1942-1943, p. 10.
Au siècle dernier, les membres de nos Premières Nations et leurs descendants n’étaient pas toujours identifiés dans les recensements. Dans notre région, ils étaient déjà peu nombreux et vivaient éloignés des réserves. Petit à petit, leurs patronymes autochtones ont disparu. Ils n’en demeurent pas moins les lointains ancêtres — pour certains ignorés, pour d’autres honorés — de bien des familles d’ici.
Depuis les années 1980, le métier de guide — qui semble faire partie de l’ADN de l’autochtone — s’est beaucoup transformé pour se professionnaliser et entrer ainsi dans l’ère du tourisme autochtone englobant la chasse, la pêche, la culture et l’aventure. Maintenir originalité et authenticité restera toujours le défi.
Qu’en est-il chez nous aujourd’hui? Nous n’avons pas développé dans notre MRC le tourisme autochtone avec la collaboration d’agences de voyage accréditées comme dans d’autres régions du Québec, chez les Hurons-Wendats à Wendake ou chez les Innus de la Côte-Nord par exemple. Mais signalons l’existence, à Saint-André-Avellin, de la boutique Kîsisam (qui signifie celle qui boulange avec le feu) ouverte en 2023 par la pâtissière Dominique Lalonde, une Oji-Crie de Sachigo Lake en Ontario. Elle offre des pâtisseries inspirées de racines autochtones, une expérience culinaire unique qui permet de saisir « l’art de la narration autochtone en une bouchée ».
Vous trouverez la boutique Kîsisam sur le site de Tourisme Autochtone Québec – région Outaouais, où l’on ne saurait mieux dire pour la suite des choses : « Chaque rencontre permet de se rapprocher, de transmettre l’histoire, de forger des liens durables et de célébrer la richesse d’un héritage commun. En laissant le passé éclairer le présent, nous avançons ensemble vers un futur empreint de respect et de partage. »
Illustration 81 a – Logo de la pâtisserie Kîsisam, ouverte à Saint-André-Avellin en 2023.
Illustration 81 b – Photo de l’intérieur de la boutique.
Capsules historiques – 350e Capsule 18, 5 septembre 2024