Au fil de l’histoire – Des lieux, des gens
Rédaction Marthe Lemery
Collaboration à la recherche Marie Josée Bourgeois
10 mai 2024
On le sait, les Québécois aiment faire les choses à leur manière. Et lorsqu’il est question d’organisation du territoire, notre « distinction culturelle » s’est affirmée dès les premières années d’existence de la Nouvelle-France avec l’adoption du régime seigneurial, un reliquat du Moyen-Âge qui perdurait dans la mère patrie.
7 – Le plan d’une seigneurie
Jusqu’à 1760, la population de la Nouvelle-France vit, dans une proportion de 80 %, sur une seigneurie. Le seigneur, propriétaire du fief que lui ont attribué les autorités coloniales au nom de la couronne française, concède gratuitement des terres d’environ 3 arpents sur 30 arpents à des colons (les censitaires). Ceux-ci doivent les défricher et les cultiver, en échange de redevances (les cens et rentes) à payer au seigneur. Pratiquant une agriculture de subsistance, les familles de censitaires disposent d’une parcelle assez grande pour subvenir à tous leurs besoins.
8 – Le paiement de la rente au seigneur
Illustration de C. W. Jefferys, Le système seigneurial, Bibliothèque et Archives Canada, C-073398, MIKAN 2835117
En règle générale, les seigneuries sont attribuées à des « personnes de qualité », autrement dit des nobles, des membres du clergé, des officiers militaires ou des bourgeois. Il est intéressant de constater que la noblesse en Nouvelle-France ne constitue que 2 % de la population de la colonie, mais qu’elle détient environ le tiers du territoire seigneurial. De même, le clergé ne compte que pour 1 % de la population, mais il possède lui aussi le tiers de la superficie totale des seigneuries. Le troisième tiers est réparti entre des personnes non issues de la noblesse (des « roturiers »), soit des militaires, administrateurs civils ou bourgeois.
Fait intéressant, quelques colons réussiront à devenir propriétaires de seigneuries, rehaussant ainsi leur statut social, chose qui aurait été impensable en France.
Encore plus remarquable, le quart des seigneuries de la Nouvelle-France auraient été administrées par des femmes à un moment ou l’autre de leur histoire, estime l’historien Benoît Grenier. Ce fut le cas de Madeleine de Verchères (1678-1747), qui a joué avec vigueur le rôle d’intendante de la seigneurie de son mari Pierre-Thomas Tarieu, sieur de La Pérade. Autre cas largement ignoré, celui de Marie-Catherine Pauvret (1667-1738), qui a pourtant dirigé pendant 24 ans avec grand succès la seigneurie de Beauport, près de Québec.
9 – Portrait de Rosalie Papineau-Dessaules vers 1825
Peintre Louis Dulongpré
Sous le régime britannique, la propre sœur de Louis-Joseph et Denis-Benjamin Papineau, Rosalie Papineau-Dessaulles (1788-1857), prendra les rênes de la seigneurie de Saint-Hyacinthe après la mort de son époux en 1835. C’est chez elle que se réfugiera Louis-Joseph Papineau lorsque sa tête sera mise à prix en novembre 1837, avant de s’exiler aux États-Unis puis en France.
Entre 1627 et 1854, année où fut aboli le régime seigneurial, il y a eu quelque 300 seigneuries en existence. Celles-ci ont marqué le paysage de la vallée du Saint-Laurent et de ses affluents : l’on perçoit encore du haut des airs le quadrillage des longues terres rectangulaires, striées par des rangs parallèles à la ligne des cours d’eau, qui caractérisaient les seigneuries.
À partir de la Conquête, la minorité britannique trouvera la formule de la seigneurie suffisamment attirante pour détenir environ la moitié des titres de seigneurs.
Rappelons que la seigneurie de la Petite-Nation fut la dernière de toutes les seigneuries à être peuplée, même si elle fut créée en 1674, en même temps que la seigneurie de Kamouraska et celle de la Pointe-à-l’Orignal, située en face de la Petite-Nation sur la rive sud de l’Outaouais, qui correspond aujourd’hui aux comtés unis de Prescott et Russell.
10 – Carte des seigneuries en Nouvelle-France